Un objet est chiral s’il n’est pas superposable à son image dans un miroir. L’exemple le plus courant est votre main gauche et votre main droite, qui ne peuvent pas être superposées de manière identique. Cette propriété existe à toutes les échelles, depuis les galaxies spirales jusqu’à des paquets d’ondes électroniques. A l’échelle moléculaire, la chiralité est très importante car deux images miroir d’une molécule chirale (appelées énantiomères) peuvent réagir différemment, notamment avec les récepteurs biologiques chiraux qui constituent tous les organismes vivants.
Avant 2015, la chiralité moléculaire était percue comme une propriété structurale fixe et non dynamique où le cortège d’électrons fixait la géométrie moléculaire. Pour comprendre en détail les mécanismes sous-jacents d’une chiralité électronique dynamique et son impact sur les propriétés matérielles, il est impératif de plonger dans les échelles de temps ultra-brèves des dynamiques moléculaire qui correspondent aux mouvements des électrons (échelle attoseconde à femtoseconde), mais aussi des noyaux (dynamique vibrationnelle femtoseconde à picoseconde). Cela est possible grâce aux lasers ultrabrefs (femtoseconde) et aux sources secondaires attosecondes. Voici pour les outils, mais quel effet utilisons-nous pour être sensible à cette chiralité et que mesurons nous ?
C’est la photoionisation avec une détection de l’angle d’émission des électrons : dans une molécule chirale, cette photoémission d’électrons présente une très forte asymétrie avant/arrière par rapport à l’axe de propagation de la lumière, asymmetrie qu’on nomme PECD (photoelectron circular dichroism). Cette spectroscopie d’électrons en énergie et angle a l’avantage d’être sensible à la fois à la structure électronique, aux structures moléculaires permanentes (isomères, conformères, agrégats …), et aux dynamiques (vibrationnelles, électroniques …). Le PECD de par son origine purement dipolaire électrique est un effet chiroptique qui conduit à de très fortes asymétries (pouvant avoisiné les 40%) et est donc particulièrement bien adapté à l’étude de milieux dilués tels que des espèces isolées en phase gazeuse. L’amplitude de l’asymmétrie dépend de l’énantiomere et de l’hélicité de la lumière ionisante. Sa forme et son signe varient avec la structure électronique (orbitale de départ du photoélectron), l’état final de l’électron (continuum électronique), et la structure moléculaire permanente, mais aussi en fonction des dynamiques. Au cours des dernières années, nous avons mis au point plusieurs approches pour mesurer les dynamiques chirales ultrarapides :
1) Time-Resolved PECD (~2015): Dans cette technique, une impulsion sonde circulaire est utilisée pour induire l’ionisation d’une molécule chirale qui a été préalablement excitée par une impulsion pompe. Enregistrer le TR-PECD permet de mettre en lumière les aspects chiraux de la dynamique en cours, initiée par l’impulsion pompe. En utilisant une impulsion sonde dans le domaine XUV, on peut interroger de manière sélective un élément de la molécule ionisée et ainsi obtenir une sensibilité accrue.
doi: 10.1021/acs.jpclett.6b02065 , doi: 10.1039/D1CP03569J , doi: 10.1103/PhysRevX.13.011044
2) Time resolved PXCD (~2016): l’idée est de sonder la formation d’un vortex d’électrons dans une molécule chirale excitée par une impulsion pompe polarisée circulairement. Cette expérience de type pompe-sonde s’appuie également sur une asymétrie d’émission des électrons suite à la création d’un vortex d’électrons.
3) PEELD-Photoelectron elliptical dichroism : Au lieu d’utiliser une polarisation purement circulaire, d’hélicité variable, ici nous varions continument l’ellipticité du laser d’ionisation dans une ionisation resonante (REMPI = resonant multiphoton ionisation). La variation de la sélectivité d’alignement moléculaire induite par les résonances révèle des nouveaux aspects de dynamiques mais aussi permet des mesures d’excès enantiomériques très précises et très rapides.
doi: 10.1039/D3CP01057K , doi: 10.1039/D1CP05618B, doi: 10.1002/chir.23267 , doi: 10.1038/s41467-018-07609-9.
4) Chiralité attoseconde en champ fort : Lorsque des impulsions lasers infrarouge intenses (>10V/nm) sont utilisées pour ioniser les molécules chirales, le champ électrique peut abaisser dynamiquement la barrière coulombienne du potentiel moléculaire, permettant à un paquet d’onde électronique de la traverser par effet tunnel. La chiralité peut imprimer sur le paquet d’onde une variation angulaire d’amplitude et de phase chirosensibles lors de cet effet tunnel. Le paquet d’ondes peut ensuite être manipulé à l’échelle du cycle optique en contrôlant la chiralité instantanée du champ laser (combinant plusieurs couleurs, états de polarisation), pour sonder cette dynamique chirale tunnel ainsi que l’éjection des électrons à l’échelle attoseconde. Ces mêmes champs sont également susceptibles de refaire collisionner les électrons avec le coeur ionique pour alors obtenir une diffraction électronique chirosensible. Une faible quantité d’électrons peuvent aussi se recombiner avec le coeur ionique, pour produire des burst d’émission de lumière EUV dont l’intensité dépend du couple (énantiomère/hélicité de la lumière incidente).
doi: 10.1103/PhysRevX.9.031004 , doi: 10.1103/PhysRevX.11.041056, doi: 10.1038/nphys3369
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